Je n’ai jamais su travailler

Publié le 27 Septembre 2014

Un très beau poème de Georges Perros et une dédicace musicale à Erwan avec une pensée pour le juke box de Marie-Rose ...

Je n’ai jamais su travailler (1967)

Je n’ai jamais su travailler

trop distrait pour m’en faire accroire

et quand j’imite ceux qui ont

le sens du labeur quotidien

je me retrouve tout honteux

le soir venu Rien ne me semble

plus paresseux que le travail

comme on l’entend dans nos pays

de bureaux de banques Je suis

pour la vie intégrale et comme

personne ne joue avec moi

on s’y ennuierait à mourir

je reprends ma besace et seul

je découvre à nouveau ce rien

qui m’est travail prométhéen

car je n’en mérite le bien

n’étant pas de ces grands artistes

que leur paresse même excite

à reprendre en main l’énergie

qu’elle trahit dès qu’on la presse

de cesser d’être souveraine

Et rien ne m’étonne aujourd’hui

comme ceux qui font ce qu’ils font

sans qu’un reste vienne tout perdre

de ce qu’ils ont fait sans laisser

place à ce vent qui me démange

au plus fort d’un travail promis

que je dois remettre et que ronge

le goût de subsister sans lui

Je dois me clouer à ma chaise

fermer les rideaux mettre bas

mes chiots de plaisir leur tendre

de loin l’os trouvé dans la nuit

en m’excusant d’avoir à faire

je ne suis pas libre aujourd’hui

Je comprendrais qu’ils m’abandonnent

ces anges de grenier ces dieux

qui m’ont tant donné de quoi être

et que je traite avec mépris

(je le fais le moins que je puis)

dès qu’il s’agit du sérieux

qu’exige notre société

où le moindre faux pas faux mot

fait redresser la guillotine

Nous sommes de fameux salauds

Le travail c’est la liberté

surtout c’est la santé de l’autre

qui nous regarde travailler

et nous félicite d’y croire

pendant le temps qu’il va nager

dans les trous de notre mémoire

N’importe demain s’ouvrira

sur une scène où dort mon rêve

et vous n’en aurez pas la clé

qui meut les décors Je me rends

à vous raisons hommes de loi

hommes d’honnête quant-à-soi

Mais s’il est vrai : sans importance

tout ce qui est exagéré

tout ce qui ne l’est pas je pense

est médiocre plus qu’à moitié

Ce sera la honte des hommes

et la mienne hélas aussi bien

de s’être fabriqué des normes

qui leur vont si mal Nos malheurs

n’en cherchons pas trop d’autres causes

Nous avons inventé la peur

Nos guerres futures seront

comme nos esprits mécaniques

Nous aurons tous bien travaillé

à ce résultat pathétique

et l’amour toile d’araignée

tricotera une brassière

pour le premier bébé futur.

Georges Perros (1923 – 1978) – La vie ordinaire (1967)

Rédigé par hobo-lullaby

Publié dans #poèsie, #musique

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E
Merci Serge pour cette évocation de Georges Perros...
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H
Merci à toi d'être passé par ici
C
Bonjour Serge,<br /> <br /> Ben, je crois qu'on a tout le matos nécessaire pour fabriquer la brassière (des toiles j'en ai plein mon jardin). Ce que j'aime comme lecture à propos du travail c'est le droit à la paresse de Lafarge. Je m'y retrouve pas mal c'est vrai.<br /> <br /> La musique est décoiffante......elle m'a fait un bien fou et je crois que je vais la ranger dans mon marque-ta-page.<br /> <br /> Bises du samedi<br /> <br /> caro
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C
Ah mais elle était bien assortie au texte c'est vrai (ça décoiffe aussi mais avec les cheveux crépus ça vole moins au vent...<br /> Tiens, je ne résiste pas à te confier une prose qui est de la vraie poésie prolétarienne, ça me fait toujours du bien quand je lis ça comme lorsque j'écoutais ta musique tout à l'heure, c'est comme si on faisait la pause du 4 heures mais tout au long de la journée (c'est un extrait du droit à la paresse avec des bises en prime)<br /> **<br /> Dans la taraque, on débutera par la Farce électorale.<br /> <br /> Devant les électeurs, à têtes de bois et oreilles d'âne, les candidats bourgeois, vêtus en paillasses, danseront la danse des libertés politiques, se torchant la face et la postface avec leurs programmes électoraux aux multiples promesses, et parlant avec des larmes dans les yeux des misères du peuple et avec du cuivre dans la voix des gloires de la France; et les têtes des électeurs de braire en choeur et solidement: hi han! hi han!<br /> <br /> Puis commencera la grande pièce: Le Vol des biens de la nation.<br /> <br /> La France capitaliste, énorme femelle, velue de la face et chauve du crâne, avachie, aux chairs flasques, bouffies, blafardes, aux yeux éteints, ensommeillée et bâillant, s'allonge sur un canapé de velours; à ses pieds, le Capitalisme industriel, gigantesque organisme de fer, à masque simiesque, dévore mécaniquement des hommes, des femmes, des enfants dont les cris lugubres et déchirants emplissent l'air; la Banque à museau de fouine, à corps d'hyène et mains de harpie, lui dérobe prestement les pièces de cent sous de la poche. Des hordes de misérables prolétaires décharnés, en haillons, escortés de gendarmes, le sabre au clair, chassés par des furies les cinglant avec les fouets de la faim, apportent aux pieds de la France capitaliste des monceaux de marchandises, des barriques de vin, des sacs d'or et de blé. Langlois, sa culotte d'une main, le testament de Proudhon de l'autre, le livre du budget entre les dents, se campe à la tête des défenseurs des biens de la nation et monte la garde. Les fardeaux déposés, à coups de crosse et de baïonnette, ils font chasser les ouvriers et ouvrent la porte aux industriels, aux commerçants et aux banquiers. Pêle-mêle, ils se précipitent sur le tas, avalant des cotonnades, des sacs de blé, des lingots d'or, vidant des barriques; n'en pouvant plus, sales, dégoûtants, ils s'affaissent dans leurs ordures et leurs vomissements... Alors le tonnerre éclate, la terre s'ébranle et s'entrouvre, la Fatalité historique surgit; de son pied de fer elle écrase les têtes de ceux qui hoquettent, titubent, tombent et ne peuvent plus fuir, et de sa large main elle renverse la France capitaliste, ahurie et suante de peur.<br /> <br /> Si, déracinant de son coeur le vice qui la domine et avilit sa nature, la classe ouvrière se levait dans sa force terrible, non pour réclamer les Droits de l'homme, qui ne sont que les droits de l'exploitation capitaliste, non pour réclamer le Droit au travail, qui n'est que le droit à la misère, mais pour forger une loi d'airain, défendant à tout homme de travailler plus de trois heures par jour, la Terre, la vieille Terre, frémissant d'allégresse, sentirait bondir en elle un nouvel univers... Mais comment demander à un prolétariat corrompu par la morale capitaliste une résolution virile?<br /> <br /> Comme le Christ, la dolente personnification de l'esclavage antique, les hommes, les femmes, les enfants du Prolétariat gravissent péniblement depuis un siècle le dur calvaire de la douleur: depuis un siècle, le travail forcé brise leurs os, meurtrit leurs chairs, tenaille leurs nerfs; depuis un siècle, la faim tord leurs entrailles et hallucine leurs cerveaux!... Ô Paresse, prends pitié de notre longue misère! Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses humaines!
H
Bonjour Caro,<br /> <br /> C'est rigolo, car j'ai hésité à mettre la musique suivante<br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=mxvEjC28MJ8<br /> <br /> ça décoiffe aussi, non ?<br /> <br /> Bises<br /> <br /> Serge
A
Il a tout compris.<br /> Mais dans notre société d'esclaves volontaires, qui gémissent sur les chaînes qu'ils s'enroulent eux-même autour du corps et de l'esprit, combien sont-ils à vouloir entendre ?<br /> La liberté leur ferait-elle peur ? Oui sans doute, c'est tellement plus facile de rester dans le troupeau.<br /> &quot;On n'est jamais aussi bien asservi que par soi-même.&quot; (Jean-François Vézina)
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H
Bonjour Anne-Marie<br /> <br /> Combien sont-ils ?<br /> Léo Ferré disait :&quot;Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent&quot;