Un clin d'œil à mes amis de l'Orchestre Poétique d'Avant-guerre (O.P.A)
Que vous pouvez retrouver ici : http://www.opa33.org/
Avec un texte superbe tiré de leur recueil
Merci à eux pour ce partage
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Avec une bise à m ...
m.
De la poussière et du sable
textes pour l’expo photo Palestine avec François Xavier
Octobre/Novembre 2009
Nous vivons une époque de poussière et de sable dans lesquels nous ne pouvons même plus imprimer l’empreinte de nos êtres pour dire ce que nous fûmes, ici, sur cette terre en don reçue et que nous quittons sans mot dire.
Avant, nous marchions côte à côte, nous rêvions ensemble.
Nous pensions toujours pouvoir fouler de nouveau le sol de la naissance.
Mais au fil du temps, le lien s’est dilué et aujourd’hui, la poussière et le sable recouvrent une mémoire qui se déforme.
Il existera cette légende de la terre natale dont le sein nous a nourris et dont notre âme s’est imprégnée sans savoir.
Aujourd’hui, dans le sel des larmes se découpent des paysages lunaires, des déserts de nostalgie qui nous soudent.
Comme l’oubli semble nous reconnaître et nous appeler, nous scrutons vers l’Occident, vers l’Orient, l’écho.
Mais dans ce temps de poussière et de sable que nous vivons, les heures tombent, le voile s’épaissit et nous voilà rendus au seuil de nos dernières espérances.
Si vous passez la première route, vous tomberez sur un amas de pierre, comme une cicatrice, c’est ici.
Jadis, le soleil se levait en face et se couchait juste là, derrière le mur.
Sa course allait du matin au soir sans obstacle, il ne butait sur rien, inondait tout et se plaisait à faire de l’ombre sous les oliviers.
Maintenant, vous verrez, lorsqu’il décline, comme il se heurte, sa lumière se brise avant d’avoir éclaboussé le ciel.
La beauté ne résiste pas aux hommes de granit.
Enfant, j’avais cent ans et je faisais semblant d’être un petit garçon.
Parfois, bien sûr, je me prenais à mon propre jeu et je me surprenais à faire comme si de rien n’était, m’amusant sans y penser, comme rendu tout d’un coup à mon âge, proche de ce qui me fuyait.
Mais dans ces moments de répit, la nuit ramenait toujours les peurs anciennes et je me réveillais l’air grave, l’oeil noir et le ventre noué.
L’enfance, ce merveilleux jardin, était pour moi un paradis perdu.
Que personne ne s’étonne aujourd’hui si, quand je regarde bien en face, mon regard porte toujours plus loin.
Que se passera-t-il une fois que tu auras parcouru de ton regard le parchemin de mon visage ?
Sera-t-il assez fort pour s’imprégner en toi et pour te tourmenter ?
As-tu suffisamment senti, à mes yeux sombres, l’effroi ?
Ai-je l’air assez las ?
As-tu pu deviner, en plongeant vers moi, à quel point j’avais soif de t’entendre ?
As-tu vu, au travers de mon être, le tréfonds de mon âme ; as-tu vu ce que même les yeux fermés je ne puis m’empêcher de voir ?
Le parchemin de mon visage retient les souvenirs et les tisse, peuplant mes fondations chancelantes de rêves incertains où je t’appelle encore.
Je t’appelle par tous les noms que je connais, dans toutes les langues que je parle et dans toutes celles que j’invente.
Je t’appelle le jour, la nuit, dans ces rêves incertains, dans ces après-midi de poudre.
Dans la quiétude-même des instants de bonheur volés, je sais que je t’appelle encore, par tous les noms que je connais.
Et maintenant, je tiens ton regard dans le mien.
Tu peux me scruter sans délicatesse car dans l’enchevêtrement des souvenirs tissés, il y aura, si tu le veux, une ride qui me ressemble au parchemin de ton visage.
Quand nos fils partent et ne reviennent pas, nous savons maintenant que nous ne devons plus les attendre.
En ces temps oubliés où nous n’avions pas de chaînes, quelqu’un avait écrit :
« Voici la terre.
Ici, le ferment de nos origines palpite comme un coeur qui bat et nourrit nos visions.
Comme nos racines nous portent, nous soutenons l’avenir sans préjugé, la poitrine ouverte, prêts au bouleversement.
Nous savons que le sillon est infini, que nous serons le passage et qu’après nous, la descendance, celle-ci, puis celle qui ne saura même plus qu’elle nous ressemble.
Nous entrevoyons des fleurs aux larges corolles, embaumant, des oasis quiets sous la voûte d’un ciel clair, des silences sans pesanteur.
Car voici la terre. »
Mais ces mots avaient été écrits avec de la poussière et du sable et aujourd’hui, dans le sel des larmes se découpent des paysages lunaires, des déserts de nostalgie qui nous soudent.
Parfois, des rires d’enfants se faufilaient entre les rues désertes, glissaient sur les pavés sablonneux, couraient le long des rigoles asséchées et venaient éclater sur les murs zébrés des maisons.
Dans ces moments, alors que tout jusqu’alors paraissait figé, le temps semblait reprendre sa course et l’on ouvrait les volets qui étaient restés clos pour se protéger du soleil.
Les femmes, étonnées, sortaient sur le pallier et, mettant leurs mains en jumelle, elles fouillaient l’horizon au plus loin.
Les hommes, convaincus pourtant qu’il ne se passait rien, pointaient le bout de leur nez aux fenêtres, humaient l’air sec à la recherche de senteurs nouvelles puis retournaient d’un pas las se rasseoir dans des fauteuils usés.
Alors, les rires se faufilaient de nouveau, quittaient la ville, abandonnaient l’innocence des heures au vertige de l’immobilité et disparaissaient sans écho.
Il ne restait plus à la nuit qu’à balayer les rues désertes pour que s’en efface, tout à fait, le souvenir des années tendres.
Palestine,
Nous avons gravé ton nom dans nos coeurs, au plus profond de notre âme et nous te portons, à chaque pas, dans ce Chaos.
Nous avons rêvé, nous rêvons encore mais à se tendre vers toi, dans ce Chaos, chaque pas devient plus difficile et la poussière et le sable s’accrochent à nos semelles comme du plomb.
Nous avons hélé, appelé jour et nuit, crié jusqu’à perdre la voix mais de l’Occident à l’Orient, c’est le silence.
L’ombre nous recouvre, le néant nous engloutit et nous ne pouvons plus écrire l’Histoire car plus rien ne dépend de nous, car tout nous échappe tandis que l’Ogre dévore nos enfants.
Nous peinons maintenant à t’imaginer, n’ayant presque plus à portée le souvenir que nos pères avaient de tes formes.
Nos colères cloisonnées se disloquent, se dispersent sans efficacité et le destin se moque, s’élabore loin de nous et se décide sans indulgence.
Nous prions un ciel qui semble vide, nous prions.
Et tous les mots que nous lançons vers lui portent en eux notre terre.
Palestine,
Dans nos coeurs, dans le plus profond de nos âmes, à chaque pas dans ce Chaos, nous te portons.