Les plus beaux Blues sont les Blues de revendication ... a people's history of Blues
Publié le 26 Mai 2012
En musardant sur le site de Radio Canut ( La plus Rebelle des radios ), on peut lire un article intérressant sur
les voix politques du Blues.( http://radio.canut.free.fr/index.php
option=com_content&task=view&id=276&Itemid=54 )
Comment ne pas paraphraser Léo Férré pour qui « Les plus beaux chants sont les chants de revendication ! » (Préface – Léo
Ferré – éditions La Mémoire et la Mer - 1969) lorsque que Big Bill Broonzy lui fait écho en déclarant : « Mes paroles parlent de babies, parce que c'est plaisant. Mais les vrais blues sont des
chants de protestations à mots déguisés ».
Il est clair à la lecture de cet article que c'est la condition sociale et politique des esclaves
Afro-Américains qui est à l'origine de cette musique, car les chants de travail sont à l'origine du Blues. Même si le Blues exprime souvent des ressentis affectifs et personnels, il n'en reste
pas moins vrai qu'il y a dans cette musique une longue tradition vraisemblablement à l'origine du Protest Song Américain.
La condition Noire apparait dans de multiples chansons, comme par exemple :
Me and my wife went all over town
And everywhere we went people turned us down
Lord, in a bourgeois town
It's a bourgeois town
I got the bourgeois blues
Gonna spread the news all around
Well, me and my wife we were standing upstairs
We heard the white man say'n I don't want no niggers up there
Leadbelly - Bougeois Blues - 1938
« Je crois que le blues est plus ou moins un sentiment qui vous vient quand vous pensez que quelque chose est
injuste ou que quelqu'un vous a fait du tort, ou à propos de quelque chose d'injuste que quelqu'un a fait aux vôtres ou quelque chose comme ça... et que la seule dont vous puissiez en
parler, c'est à travers une chanson, et c'est ça le blues... »
Lil Son Jackson
Avec " I'am a stranger here", Sonny Terry et Brownie MacGhee décrivent très bien le ressenti que vous imposent les imbéciles
heureux qui sont nés quelque part comme disait Brassens.
Il est amusant de noter une certaine similitude entre le premier couplet :
"I'm a stranger here, just blowed in your town
Oh, yes, I am, I'm a stranger here, just blowed in your town
Well, because I'm a stranger, everybody wants to dog me 'round "
et le :
"Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger"
De Louis Aragon
Ou le :
"Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous mourez."
De Jacques Prévert
En 1948 est publiée la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui rend de plus en plus évident le paradoxe
américain.
1951, tandis que Cendrillon de Disney sort en France, le Civil Rights
Congress dépose une pétition à l’ONU accusant le « génocide » subi par les Noirs aux Etats-Unis et Big Bill
Broonzy atteint la quintessence du blues avec "Black, Brown an White":
If you're black and gotta work for a living,
this is what they will say to you,
they says, "If you was white, should be all right,
if you was brown, stick around,
but as you's black, hmm brother, get back, get back, get back"
Si tu es noir et que tu travaille pour survivre
voilà ce qu'ils vont te dire
Ils disent, "Si tu es blanc, ça va,
si tu es beige, passe encore
mais si tu es noir, dégage !
Entre 1954 et 1966, le KKK fait exploser 70 bombes en Georgie et en Alabama et 30 dans le Mississippi. (Source : http://www.erta-tcrg.org/cri6224/2004-2006/kkk1.htm)
Cette même année 1966 JB Lenoir chante
un Alabama, qui n'a rien d'un Sweet Home :
"I never will go back to alabama, that is not
the place for me (2x)
You know they killed my sister and my brother,
And the whole world let them peoples go down there free"
Le quotidien des crise économiques, de la grande dépression à nos jours, se retrouve dans de multiples
chansons
1947, le taux de chômage aux états unis frôle les 26 % ( source : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1969_num_24_2_13860 )
Unemployement Blues - Smokey Hogg 1947

La pauvreté aux états unis touche 20 % de la population en 1964 (source wikipedia)
Dream I met the devil, he is waitin' at the gate
Say, "Come on in Red, you ain't a minute late"
Said he lead me to his kingdom, lead me by my arm
But he wouldn't move my body, less I grease his palm
I's in trouble and I'll tell you the reason why
I'm just too poor people, I'm too poor to go lay down and die
Louisiana Red - Too poor to die - 1964
à noter que le thème du vagabond rejeté par tous, y compris par le diable se retrouve dans plusieurs chansons comme
par exemple la version de "the Tramp" de Joe Hill par
Cisco Houston (1960)
L'exclusion : selon une étude de James Wright et Beth
Rubin, entre 600 000 et 700 000 sans abris aux états unis à la fin des années 80 (source : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/socco_1150-1944_1998_num_30_1_1849)
See him cuddled in the shadows
Sleepin' on his cardboard bed
Using rags for a pillow
Where he lays his unwashed head
His blanket's old newspaper
Not much good against the snow
See so many like him out there
When you walk the night patrol
When you walk the night patrol
Robert Cray - Night patrol - 1988
Comment ne pas évoquer Josh White qui est l'un des principaux initiateurs du Protest song of America,
poursuivi par le Ku Klux Klan, inquiété par la commission McCarthy. Josh White est avec Blind Blake un des grands fondateurs du blues de la côte est, ou Piedmont blues.
United we stand, divided we fall
Let’s make this land safe for one and all
I’ve got a message and you know it’s right
Black and white together, unite and fight!
Freedom blues - Langston Hugues - Josh White - 1940
Les voix féminines du Blues ne sont pas en reste :
Mister rich-man, rich-man, open up your heart and mind
Give the poor man a chance, help stop these hard, hard times
While you're livin' in your mansion you don't know what hard times means
While you're livin' in your mansion you don't know what hard times means
Poor working man's wife is starvin', your wife is livin' like a queen
Bessie Smith - Poor man Blues - 1928
I can't go outside to my grocery store
I ain't got no money and my credit don't go no more
Ida Cox - Hard times Blues - 1939

I was so cold my feets was near about froze
I was so cold my feets was near about froze
And I didn't have a penny, I couldn't find no place to go
I come to a house, I knocked up on the door
I come to a house, I knocked up on the door
They wouldn't accept my company because I didn't have on no clothes
Hmmm, my feets was near about froze
Hmmm, my feets was near about froze
Menphis Minnie - Outdoor Blues - 1931

Sans oublier :
Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black body swinging in the Southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees
Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir qui se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit suspendu aux peupliers.
Pastoral scene of the gallant South,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolia sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh!
Scène pastorale du valeureux Sud,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum de magnolia doux et frais,
Puis l'odeur soudaine de chair brûlée !
Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.
C'est un fruit que les corbeaux cueillent,
rassemblé par la pluie, aspiré par le vent,
Pourri par le soleil, laché par les arbres,
C'est là une étrange et amère récolte.
Billie Holiday - Strange fruit - 1939
Billie Holiday chanta Strange Fruit, évoquant l’assassinat des noirs par lynchage seize ans avant que Rosa Parks refuse
de céder sa place à un Blanc dans un bus en Alabama. Protest song avant l’heure et figure symbolique de la marche des Noirs vers l’émancipation, cette chanson fut écrite par un Juif blanc
new-yorkais, Abel Meeropol, qui recueillit les enfants Rosenberg après que leurs parents furent exécutés. Selon Angela Davis, cette chanson a replacé la protestation et la résistance au
centre de la culture musicale noire contemporaine. La revue musicale britannique Q, a classé Strange Fruit parmi les dix chansons qui ont véritablement changé la face du monde.
(source : http://www.irma.asso.fr/Strange-fruit)
En 1963 Martin Luther King a eu un rêve, pour certains, l'élection d'Obama en fut la réalisation, toujours
est il que la loi du marché a remplacé les lois de Jim Crow et que le racisme est loin d'avoir disparu, le chemin est encore long vers la réalisation de ce rêve que Big Bill
broonzy avait fait 25 ans avant le leader du African-American Civil Rights Movement.
Dreamed I was in the White House, sittin' in the president's chair
I dreamed he's shaking my hand, and he said "Bill, I'm so glad you're here"
But that was just a dream, Lord, what a dream I had on my mind
Big Bill Broonzy - Just a dream - 1938
Ici dans une version de Eddie "Cleanhead" Vinson :
1969, Richard Nixon est élu président des états unis avec dans son programme le désengagement us de la
guerre au Vietnam. Ce qui n'empècha pas le soit disant pays de la Liberté de larguer 7,08 millions de tonnes de bombes durant ce conflit (pour comparaison, 3,4 millions de
tonnes ont été larguées par l'ensemble des alliés sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale).(source : wikipedia)
Mister President you always cry about peace, but you must clean up your house before you leave
Oh how you cry about peace, but you must clean up your house before you leave
How can you tell the world how we need peace, and you still mistreat and killin' poor me.
JB Lenoir - Vietnam blues - 1970
1973, avec H2O-gate Blues, Gil Scott Heron, dresse dans un long pamphlet un réquisitoire contre l'impérialisme
Américain Ce blues qui s'apparente plus à du Slam n'en reste pas moins qu'une des critiques les plus virulentes de la politique des états unis. Rien d'étonnant que la disparition
en 2011 de ce musicien et poète de génie soit passée inapercue ... :
Afraid of shoeless, undernourished Cambodians
While we strike big wheat bargains with Russia
Our nuclear enemy
Just how blind, America?
But tell me, who was around where Hale Boggs died?
And what was the cause of LBJ's untimely demise?
And what really happened to J. Edgar Hoover?
The king is proud of Patrick Gray
While America's faith is drowning
beneath that cesspool-Watergate. (Yeeeah!)
How long will the citizens sit and wait?
It's looking like Europe in '38
Did they move to stop Hitler before it was too late? (no...)
How long. America before the consequences of
Keeping the school systems segregated
Allowing the press to be intimidated
Watching the price of everything soar
Carlos Santana dénonce à travers le titre d'un morceau instrumental, l'impérialisme Américain au Salvador des années
80
En 2012 Walter Trout avec Money rules the world devrait faire un carton à Wall Street.
En 1976, Joan Baez rend homage à Pablo Neruda avec une chanson : No nos moveran. Chanson remis au gout du jour en 1981
dans une série télévisée ( Le bel été )
Non, non, nous ne bougerons pas !
De cette barque ils ne nous feront pas partir
ne nous en feront pas bouger !
pas plus que l’arbre aux racines profondes, nous
ne bougerons pas !
Cette Chanson devient en 2011 l'hymne de Indignés d'Espagne :
Non, non, nous ne bougerons pas !
Parce que notre vie est sur cette place, nous ne bougerons pas !
“Nous ne bougerons pas”, c’est notre génération
Mais l'origine de cette chanson remonte en fait aux années 1930, car il s'agit d'un vieil air traditionnel repris par les
militants de l'époque.
On my way to glory, I shall not be moved
On my way to glory, I shall not be moved
Like a tree planted by the water, I shall not be moved.
Dont voici un des premiers enregistrement par Charley Patton - 1929
Le Blues est une musique qui trouve ses origines en Afrique, alors comment ne pas évoquer Ali Farka Touré lorsqu'il dit
:
"Au lieu de nous donner des armes,
il faut nous aider à cultiver"
Puisque nous faisons un crochet par l'Afrique, un mot sur le Bluesman Camerounais ROLAND TCHAKOUNTÉ à propos duquel on peut lire :
À mesure que la planète, portée par la globalisation, s’enflammait pour les musiques du monde, nombre d’artistes ont
tenté de mettre en lumière les passerelles reliant le blues et l’Afrique. Si ces créateurs ont échoué dans leur immense majorité, le plus souvent parce qu’ils s’évertuaient à établir des
cousinages artificiels entre le Premier Continent et sa diaspora américaine, deux artistes font exception à la règle : le grand Taj Mahal, pour avoir su instaurer un échange équitable entre
la note bleue et les complaintes du Mali ou de Zanzibar, au lieu de surfer sur des racines communes perdues depuis longtemps ; et Roland Tchakounté, parce qu’il a eu l’intelligence de
comprendre que l’héritage commun de l’Afrique et du blues n’était pas sa grammaire, mais son âme.
Depuis une décennie, ce guitariste et chanteur d’origine camerounaise
raconte le quotidien troublé de son continent natal avec une poésie farouche, proche de celle qui habitait Charlie Patton, Son House ou Robert Johnson dans le Vieux Sud de la Dépression.
Habité par la musique de sa langue natale, le bamiléké, Tchakounté possède le pouvoir de toucher au plus profond ceux qui l’écoutent en appuyant ses narrations musicales sur son expérience
personnelle : l’exode rural vécu dans l’arrachement par ce fils de petit paysan des environs de Douala, aîné d’une famille de huit enfants ; les frustrations liées à la découverte de la
brutalité du monde urbain dans le ghetto de New Bell ; l’émigration, enfin, dans des conditions évocatrices du sort des boat people.
Article tiré de son site : http://www.roland-tchakounte.com/?page=accueil
La chanteuse Pura Fé a choisi un blues aux influences Amérindiennes pour exprimer le cri de son peuple
"Ces hommes ( qui ne bâtissaient ni pyramides, ni cathédrales) avaient trouvé leur juste place dans le cosmos, au sein
d'une nature qu'ils respectaient et adoraient. Ils ne cherchaient pas à accumuler richesses et bien-être, mais à se forger une âme forte en harmonie avec le monde. Savoir s'intégrer
respectueusement à l'univers des forêts ou des plaines, savoir reconnaître l'étincelle du sacré dans chaque parcelle de vie ...Voilà l'essentiel de leur philosophie. Quand on sait la cupidité
qui animait les conquérants venus d'Europe, on comprend que le dialogue était impossible entre deux manières aussi opposées d'envisager l'existence. Cependant, face à l'avancée impitoyable des
colons, les Indiens d'Amérique ont sans cesse recherché un consensus qui leur permettrait de continuer à vivre en paix selon leur antique manière... Mais pour l'homme blanc, il n'y avait pas de
consensus possible en dehors de la déportation et de l'extermination"
Préface de Michel Piquemal dans "Paroles Indiennes"
Don't believe the lies,
Stand up for Human Pride
Remember Christopher Columbus, the mass indigenous genocide
They preach you terror, hate and fear, so they can justify all the blood, sweat and tears
So...
Don't believe the lies, stand up for Human Pride!
Enfin, je tenais à terminer avec le groupe Combo Quilombo à qui je dédie cet article.
Dans le Brésil esclavagiste, les Quilombo étaient des communautés d’individus fuyant la servitude. Certaines, telle la
plus connue, celle de Palmarès, néanmoins critiquable à plus d’un titre, s’étaient organisées en République. Outre leur caractère d’insoumission viscérale, ces Quilombo sont autant de
laboratoires d’expérimentations sociales autonomes, réalisées par des gens qui ne supportaient plus leurs conditions d’existence.
plus que tout autre musique peut-être, le blues restitue la misère et la souffrance du travail. Il suffit de constater
l’injustice sociale et le blues vient tout seul : unevie de merde, avec un boulot merdique ou pas de boulot du tout, c’est selon ; et puis des refuges tout aussi merdeux où chacun tente de se
mettre à l’abri de la violence de nos vies l’espace d’un instant : ça peut aller de son émission favorite, à sa séance de sport, de musique ou de lecture, en passant par deschoses beaucoup
plus dures comme l’alcool et autres paradis artificiels. Issue de l’esclavage, le blues est une musique qui est capable (comme d’autres) d’exprimer avec une puissance à laquelle je suis très
sensible des sentiments tels que la privation et l’injustice. Ce sont des sentiments proches de ceux qu’éprouvent quotidiennement des millions de gens dans le monde ; 20 % des habitants de la
planète consomment 80 % des richesses, en conséquence, un terrien sur trois vit avec moins de 2€ par jour, une personne sur six n’a pas accès à l’eau potable, une sur huit souffre de la faim
et 30 000 enfants meurent quotidiennement de causes dont on connaît les remèdes : malnutrition, hygiène, santé, etc... Cela résulte clairement d’une répartition injuste des richesses de notre
planète, entre ceux qui vivent dans l’opulence et le confort et font tourner l’économie mondiale à leur avantage et ceux qui crèvent la faim et n’ont rien d’autre à monnayer que leur force de
travail. Certes, nous ne sommes plus au temps de l’esclavage (quoi que, on compte encore au moins deux cent millions d’êtres humains assujettis à cette ignoble condition - c’est vrai que ces
personnes n’ont guère le temps de jouer de la musique, et si ils en jouent, ce n’est pas forcément du blues…) mais, malgré le maquillage libérale et démocratique du XXIème siècle, ce
processus, qu’on appelle aussi la « lutte des classes » n’est guère différent dans son principe de celui de l’esclavage : il s’agit toujours d’échanger sa vie contre sa pitance
journalière…
SOURCES :
Big road Blues : http://sundayblues.org/
Blues lyrics : http://www.harptab.com/blueslyrics/
Blues search engine : http://www.bluessearchengine.com/bluesartists/bluesartistsa.html
American music discographie : http://www.wirz.de/music/american.htm
Highway 61 radio : http://www.highway61radio.com/