Kateb Yacine - Le poète comme boxeur

Publié le 6 Février 2012

 
 
Kateb Yacine, instruit dans la langue du colonisateur, considérait la langue française comme le « butin de guerre » des Algériens. « L’usage de la langue française ne signifie pas qu’on soit l’agent d’une puissance étrangère, et j’écris en français pour dire aux français que je ne suis pas français », déclarait-il en 1966. Considéré comme l’un des fondateurs de la littérature maghrébine moderne en langue française, Kateb Yacine, militant anticolonialiste, a également écrit en arabe et en berbère. Il a, dans son œuvre, voulu traduire l’identité et les aspirations profondes de son peuple.
(source Afrik.com)
 
 
 
 
POUSSIÈRES DE JUILLET
 
Le sang
Reprend racine
Oui
Nous avions tout oublié
Mais notre terre
En enfance tombée
Sa vieille ardeur se rallume
 
Et même fusillés
Les hommes s’arrachent la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir
 
Et sous la couverture
Aux grands trous étoilés
Il y a tant de morts
Tenant les arbres par la racine
Le cœur entre les dents
 
Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine
Pour si peu de poussière
Qui nous monte à la gorge
Avec ce vent de feu
 
N’ enterrez pas l’ancêtre
Tant de fois abattu
Laissez-le renouer la trame de son massacre
 
Pareille au javelot tremblant
Qui le transperce
Nous ramenons à notre gorge
La longue escorte des assassins.
 
 
Kateb Yacine
 
 
Au poing tendu de l'âge tendre
A la frimousse des héroïnes en herbe
A l'école de la belle étoile
A la cinquième année du massacre
 
La bannière étoilée a retrouvé ses origines
C'est l'Algérie plus libre que jamais
Elle a toujours été libre
Ironiquement souveraine
Armée par l'ennemi
Prisonnier de ses propres pièges
 
Devant ce peuple matinal
Les abattoirs promènent
Des légions de chiens ivres
 
Il y aurait de quoi pleurer
N'étaient les yeux qui s'ouvrent
N'était la grève des larmes
 
Ce n'est pas la lligne Morice
Qui tue
C'est le mortier bien nourri
Les grottes flamboyantes
Les caravanes de la nuit
C'est le sourire au combat
Et la Joconde ignorée
 
Visages
Quel feu vous créa
Si cruellement confiants !
Ce feu
C'est le secret de tous les sacrifices
 
Partout déferle
Et se révèle
L'armée inespérée
Des paysans sans terre
Et le vieillard sort de ses ruines
Pour offrir son dernier mouton
 
Ce soir on danse à la lueur
Des lendemains de combat
Ce feu
C'est le secret de tous les sacrifices
 
Le jour se lève
Oublier la misère
Les loques
La main tendue
Les souliers qui font mal
Oublier l'âge des cavernes
Et soulever toujours le poing du peuple
Dans le crépitement du brasier souterrain
 
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KATEB YACINE
 
 
 
 
 

Rédigé par hobo-lullaby

Publié dans #poèsie

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C
<br /> Bonsoir Serge,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Que c'est beau !!<br /> <br /> <br /> Je découvre cette jolie plume, je la connais un peu c'est vrai mais ce texte est très beau. On ne sait pas nous autres ce que cela fait d'écrire avec la langue du colonisateur, je pense souvent<br /> que l'espagnol qui donne ses lettres de noblesse à la poésie que j'aime est cette même langue du colon, alors je veux bien essayer de me mettre à la place de ceux à qui on a imposé une culture.<br /> <br /> <br /> Bises et merci pour cette jolie page<br /> <br /> <br /> caro<br />
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