Aux oiseaux nés du temps qui jamais ne s'endorment aux espaces fertiles des enfances remuées

Publié le 3 Octobre 2012






A tous les reconduits
 
 
Fils des murailles
Nous avons transporté les bosses du désert
Jusqu’aux portes du refus
La terre sous nos pieds déroulait ses frontières
Hissait des barbelés
Et refusait nos mains de pèlerins
Les passeurs cassaient nos âmes
Nos corps marqués au fer du soleil
Nos langues sèches de barbares errants
Et froidement tétaient l’argent de nos exils
 
C’est l’heure d’une folie douce
Nos genoux ont balisé l’enfer
Notre faim a mangé la poussière
Et nos silences ont grimpé la tour de Babel
C’est l’heure d’une folie douce
Là-bas
La ville amarre la misère
Le visage de l’épouse allume une feuille morte
L’enfant qui naît enjambe l’avenir
Là-bas la mort embarque les jours
Et les nuits dévorent la chair des étoiles
 
Nous sommes d’un long voyage
Un voyage d’ancêtres au cœur maigre
Un voyage de sauterelles affamées
Un voyage de pays sous perfusion
Un voyage d’ombres sans corps
 
Nous sommes de ce voyage
Où les nuits font contrebande de chair
Où les jours ont honte de leur soleil
Où les hommes quémandent le droit de respirer
 
Nous sommes de ce voyage
Nos yeux chavirent comme des pirogues blessées
Nos mains dénouent le nombril des vents
Et nul arbre n’accueille l’ombre de nos rêves
 
Partir n’est pas partir
Quand les murs sont vivants
Partir n’est pas partir
Quand l’oiseau est sans nid
Partir n’est pas partir
Quand la terre se cloisonne
Dans la peur des peuples
 
Nos pas effraient la tour Eiffel
Les capitales repues du sel des colonies
Les usines à chômage
Les bourreaux d’arc-en-ciel
Les bourses mondialisées
Et les marchands de peau
Nos pas dérangent la marche du monde
Nos pas vont en fraude supplier l’horizon
Ils ne savent pas ouvrir les monnaies de l’accueil
Et ils s’en retournent humiliés
D’avoir à retourner
Au seuil de nous-mêmes
 
Est-ce la peau qui refoule
Est-ce l’homme qui dit non
Nous sommes les arpenteurs du refus
Les déserteurs sans papiers
Les capitales ont tissé nos douleurs
Et leurs lumières sont des flocons de sang
Des feux rouges sans paupières
Des enseignes interdites
 
Insectes saisonniers
Nous jouons
A recoudre l’espace
Derrière l’incendie
Nous jouons des jeux de prisonniers
Le monde entier est notre prison
Et nous jouons nos vies
Au casino des riches
 
Voici venue la saison des fleuves vides
Voici venue la saison des barbelés
Voici venue la saison des marées humaines
Voici venue la saison des esclaves volontaires
Même le village a mangé son midi
Et nos villes drapées dans la poussière
Sortent des seins maigres comme des aiguilles
 
Ô pays !
 
Nous avions rendez-vous avec les pays du rêve
Avec une autre géographie
Avec les grandes puissances de l’or et de l’euro
Leurs villes sont des vallées de miel
Des cornes d’abondance
Et leur pain quotidien récite sa prière
A l’ombre des cathédrales
 
Nous n’avons rien à déclarer sinon la faim
la faim n’a pas de passeport
Nous n’avons rien à déclarer sinon la vie
la vie n’est pas une marchandise
Nous n’avons rien à déclarer sinon l’humanité
L’humanité n’est pas une nationalité
La misère ne passe pas
Passager clandestin
Elle retourne au pays
 
Nos sandales ont usé les nuits
Nos pieds nus ont écorché les dunes
La rosée pleurait une terre inhumaine
Et nos mains mendiaient une autre main
Les drapeaux ont peur de leurs promesses
Ils se sont enroulés comme des scolopendres
Notre soif est retournée au feu de notre gorge
Et la vie nous a tourné son dos
 
Tout homme qui s’en va défie l’entour
Dessouche une nation
Et lézarde une étoile
Et dans ses yeux grésillent une autre vie
Son feuillage est d’outre-mer
Quand tout au loin luit son désastre
Il fait troupeau vers les quatre saisons
Il fait tombeau aux bornages
 
O nègres marrons !
 
Ce sont forêts de béton et d’arbres chauves
Souviens-toi de l’enfant mort d’atterrir
En un seul bloc de froidure
Dessous le ventre de l’avion
Souviens-toi de sa mort d’oiseau gelé
Souviens-toi
 
Et toi reconduit
Econduit
Déviré
Jeté par-dessus bord
Taureau d’herbe sèche
Regarde toi passer sur ta terre
Les yeux baissés
Et sur la joue le crachat des nations
 
 
Ils ont faim du soleil
Mais le soleil a faim aussi
(Parole de poète)
Demande-toi où est ton lieu
Ton seul lieu d’accueil
Tu inventeras ta terre


Ernest Pépin










 






 

Rédigé par hobo-lullaby

Publié dans #Liberté

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A
<br /> Difficile de dire cela car le thème est terrible mais le premier mot qui me vient, est : somptueux. La poésie à l'état pure suggère tant d'images qui nous atteignent au plus profond du coeur. Les<br /> phrases frappent et touchent comme celle citée par Caro, et le réalisme du "voyage d'ombre sans corps"...<br /> <br /> <br /> J'ai lu et relu ces vers plusieurs fois, c'est une révélation pour moi.<br /> <br /> <br /> Merci Serge pour ce fabuleux partage.<br />
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H
<br /> <br /> Bonsoir Almanitoo<br /> <br /> <br /> Le titre de l'article n'est pas de moi, il est tiré d'un poème d'Aimé Césaire. Je suis comme toi, on l'aime cette poèsie sans fioriture, celle qui nous réveille et qui prend notre humanité par<br /> les tripes, qui nous rappelle que nos jambes nous servent à nous tenir debout et que notre coeur est fait pour battre et aimer et non pas le contraire. ça fait simplement du bien car ces mots<br /> nous délivrent.<br /> <br /> <br /> C'est moi qui te remercie pour l'echo que tu renvoies<br /> <br /> <br /> Je te renvoie un "glop glop" <br /> <br /> <br /> et des bises amicales<br /> <br /> <br /> Serge<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Bonjour Serge,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Oui, il en faut du courage pour partir, il en faut du courage pour espérer ardemment trouver mieux sous d'autres cieux!<br /> <br /> <br /> Alors qu'il serait si simple et si humain d'aider les peuples à vivre sur leur territoire en leur donnant les moyens techniques, humains ou les aides nécessaires pour se maintenir sans se<br /> déraciner et aller vers une mort certaine ou une vie de misère.<br /> <br /> <br /> Ce monde là existe dans la tête des utopistes dont je fais partie mais cela n'aide pas sur le terrain de la vie à faire bouger les millions d'êtres qui n'y croient pas à cette utopie qui pourtant<br /> pourrait lever des montagnes.<br /> <br /> <br /> Le texte de cet auteur méconnu de moi est très fort, j'ai relevé une phrase très poétiquement trouvée qui m'a bien plu entre autre ; Nos mains dénouent les nombrils des vents !!<br /> <br /> <br /> Joli passage aussi : Nous n'avons rien à déclarer. Mais l'ensemble est excellent.<br /> <br /> <br /> Et puis la chanson dont je ne connais pas non plus l'auteur est magnifique, j'adore, on y retrouve un petit peu de chaque grand chanteur, je ne saurais te dire vraiment, ça m'a donné une drôle<br /> d'impression et je me la suis appropriée de suite<br /> <br /> <br /> Un bel article bien conçu Serge, Bravo, bisous et bonne journée.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> caro<br />
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H
<br /> <br /> Bonsoir Caro<br /> <br /> <br /> C'est "rigolo" car le nombril des vents est aussi une phrase qui m'a marquée dans ce poème.<br /> <br /> <br /> Je crois aussi que les poètes parlent parfois avec leurs songes, mais quand ils parlent avec leurs tripes, nous ne nous approprions pas le texte, c'est le texte qui nous accapare !<br /> <br /> <br /> Il me semblait que tu avais cité Michel Buhler à propos de Victor Jara. C'est effectivement un grand chanteur, malheureusement méconnu. Je remercie ici mon amie Valérie de me l'avoir fait<br /> connaitre.<br /> <br /> <br /> Allez, juste pour le plaisir : http://www.deezer.com/fr/artist/58020 <br /> <br /> <br /> Bisoux Caro<br /> <br /> <br /> Serge<br /> <br /> <br /> <br />