Gaza
Publié le 20 Juillet 2014
« La seule valeur morale pour les peuples occupés, c'est la vigueur de la résistance à l'occupation.
C'est là le seul enjeu. Gaza est tombée dans la dépendance à cette cruelle et noble valeur. Elle ne l'a pas apprise dans les livres, les écoles élémentaires, les slogans sonores scandés par les haut-parleurs, ni dans les chansons. Gaza ne l'apprise qu'à travers sa propre expérience, et un labeur qui est son image et sa gloire.
Gaza n'a pas de voix. Ce sont les pores de sa peau qui exhalent la douceur, le sang et le feu. Et donc l'ennemi lui voue une haine et une crainte mortelles, et cherche à la noyer dans la mer, le désert ou le sang. Et donc ses proches et ses amis l'aiment avec une timidité qui parfois touche à la jalousie et à la peur, car Gaza est une leçon brutale et un exemple éclatant pour ses ennemis comme ses amis.
Gaza n'est pas la plus belle des villes.
Son rivage n'est pas plus bleu que celui d'autres villes arabes.
Ses oranges ne sont pas les plus belles du bassin méditerranéen.
Gaza n'est pas la ville la plus riche.
Ce n'est ni la plus élégante, ni la plus grande, mais son histoire est à la hauteur de celle d'une véritable patrie. Car elle est la plus laide, la plus pauvre, la plus misérable et la plus vicieuse aux yeux de ses ennemis. Parce qu'elle est la plus capable d'entre nous pour troubler l'humeur et le confort de l'ennemi. Parce qu'elle est son cauchemar. Parce qu'elle est tout à la fois des oranges minées, des enfants sans enfance, des vieillards sans vieillesse et des femmes sans désirs. Parce que tout ceci réuni constitue sa plus grande beauté, pureté et richesse, parce qu'elle est infiniment digne d'amour. »
Mahmoud Darwich
Nous enseignons la vie, Monsieur
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas aller au-delà des brèves citations et des limites des mots.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas aller au-delà des brèves citations et des limites des mots, suffisamment remplies de statistiques pour s’opposer à une riposte mesurée.
Et j’ai peaufiné mon anglais et j’ai appris mes résolutions de l’ONU.
Et pourtant, il m’a demandé : « Mademoiselle Ziadah, vous ne pensez pas que tout serait résolu si vous cessiez au moins d’enseigner toute cette haine à vos enfants ? »
Pause.
J’ai cherché en mon for intérieur la force d’être patiente, mais la patience n’est pas au bout de ma langue pendant qu’ils larguent des bombes sur Gaza.
La patience vient précisément de m’échapper.
Pause. Sourire.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Rafeeh, n’oublie pas de sourire.
Pause.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Nous, Palestiniens, enseignons la vie après qu’ils ont occupé le dernier ciel.
Nous enseignons la vie après qu’ils ont bâti leurs colonies et leurs murs de l’apartheid, au-delà des derniers cieux.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Mais, aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas aller au-delà des brèves citations et des limites des mots.
Et ne nous donnez qu’un récit, un récit humain.
Vous comprenez, ceci n’a rien de politique.
Nous voulons seulement parler aux gens de vous et de votre peuple, et faites-nous donc un récit humain.
Ne mentionnez pas ces mots : « apartheid » et « occupation ».
Ceci n’a rien de politique.
Vous devez m’aider, moi en tant que journaliste, à vous aider à raconter votre histoire qui n’a rien d’une histoire politique.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Que diriez-vous de nous parler de l’histoire d’une femme de Gaza qui a besoin de médicaments ?
Ou de nous parler de vous ?
Avez-vous suffisamment de membres aux os brisés pour couvrir le soleil ?
Passez-moi vos morts et donnez-moi la liste de leurs noms sans dépasser les mille deux cents mots.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas dépasser les brèves citations et les limites des mots, mais émouvoir ceux qui sont devenus insensibles au sang terroriste.
Mais ils se sont sentis désolés.
Ils se sont sentis désolés pour le bétail à Gaza.
Et ainsi donc, je leur donne les résolutions de l’ONU et les statistiques et nous condamnons, et nous déplorons, et nous rejetons.
Et ce ne sont pas deux camps égaux : l’occupant et l’occupé.
Et cent morts, deux cents morts, et un millier de morts.
Et entre ce crime de guerre et ce massacre, je crache des mots et je souris sans « rien d’exotique », « rien de terroriste ».
Et je recompte, je recompte : cent morts, un millier de morts.
Il y a quelqu’un, là, dehors ?
Y aura-t-il quelqu’un pour écouter.
Je voudrais pouvoir pleurer sur leurs corps.
Je voudrais pouvoir courir pieds nus dans chaque camp de réfugiés et prendre à bras tous les enfants, couvrir leurs oreilles pour qu’ils ne doivent plus jamais entendre le bruit des bombes le reste de leur vie comme moi je l’entends.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé
Et permettez-moi de vous dire ceci, rien que ceci. Rien, vos résolutions de l’ONU n’ont jamais rien fait, à ce propos.
Et aucune des mes brèves paroles, aucune parole que je sortirai, et qu’importe que mon anglais s’améliore, aucune parole, aucune parole, aucune parole, aucune parole ne les ramènera à la vie.
Aucune parole ne fera cela.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Nous, Palestiniens, nous éveillons chaque matin pour enseigner au reste du monde la vie.
Monsieur.